"La photo représente Marilou et moi, sur les quais de Toulon, en décembre 1960, trois jours après notre rencontre à Marseille "

Hymne à l'Amour

"La photo représente Marilou et moi, sur les quais de Toulon, en décembre 1960, trois jours après notre rencontre à Marseille "

Ecrit par l'Ordissinaute claudLo

Une rencontre

 

Mon histoire commence en 1958.

 

A peine mes 20 ans fêtés, je partais effectuer mon service militaire.

A cette époque, toutes les mamans françaises savaient qu'elles entraient dans une période d'angoisse permanente. Tous médias confondus ne laissaient aucun doute sur les drames et les horreurs de la guerre d'Algérie.

Pour l'instant, j'avais 3 mois de classe pour apprendre à jouer au petit soldat, avec de vrais fusils et de vraies balles.

Dans le même temps, j'ai choisi de préparer les EOR (élèves officiers de réserve), non par ambition ou prestige du grade mais, simplement parce qu'après le maintien au-delà de la durée légale du service militaire, ma solde d'appelé serait identique à celle des engagés.

Mes parents, de condition modeste, seraient soulagés des mandats qu'ils m'adressaient régulièrement.

 

Notre contingent se composait d'environ 300 bébés de 20 ans, venus de tous horizons et de toutes classes sociales, répartis dans plusieurs bâtiments appelés chambrées.

 

Un jour, un de mes camarades vient me voir avec, à la main, une lettre :

- " Claude, dans mon village, une jeune fille que je considère comme ma sœur, très belle et intelligente, sachant ce qui nous attend, souhaiterait être la marraine de guerre de l'un d'entre nous. Seulement elle émet quelques critères de choix. Dans notre entourage, je ne vois que toi ! Je te confie son courrier. Fais-moi connaître ta décision. "

J'ai pris cette lettre avec la curiosité qu'on imagine.

 

Cette jeune fille avait pour prénom, Marilou. Elle demandait à son ami de lui trouver un correspondant, un filleul de guerre qui soit plus grand qu'elle, agréable à regarder et surtout qu'il soit bon en orthographe. (Là un grand rire m'a échappé.)

L'écriture était nerveuse, le français impeccable, les tournures de phrases irréprochables. Visiblement quelqu'un d'intelligent.

Sans même réfléchir, sur un coup de coeur, j'ai décidé de lui écrire et le fis savoir à mon camarade, à sa grande satisfaction.

 

J'ai donc entamé une correspondance sur un ton quelque peu narquois, lui demandant, entre autre, si ce n'était pas un mari qu'elle recherchait !

En réponse, sur le même ton ironique, elle me répondit qu'elle se savait suffisamment jolie et que les beaux garçons ne manquaient pas autour d'elle, pour user de ce stratagème.

Notre correspondance épistolaire, qui allait servir de trame à mon histoire,

commençait de façon plutôt tendue. Bizarrement, c'est ce qui m'a donné envie de continuer. Cette demoiselle avait du caractère !

 

C'est ainsi qu'à raison d'une lettre par semaine, parfois accompagnée de photos, nous apprîmes à nous connaître, à nous livrer avec sincérité, persuadés que nous étions, de ne jamais nous rencontrer.

 

Les classes terminées, les 300 bébés ont été séparés et envoyés, la boule au ventre, dans différentes zones d'Algérie.

A notre arrivée, je me suis retrouvé en plein djébel dans un hameau de 500 âmes environ, qui vivaient de l'exploitation d'une mine de fond.

Les mineurs étaient répartis en trois équipes tournantes. ( 5h/13h – 13h/21h – 21/5h ) .

Notre mission consistait à protéger le village et ses mineurs d'éventuelles attaques. Personnellement, on m'avait confié le commandement d'un groupe de 10 soldats, pour veiller à la sécurité d'un groupe de mineurs ( trajet et surveillance à la mine ).

Au fil des semaines, des mois, ce travail en 3x8 devenait fastidieux et crispant. Nous étions toujours sur le qui-vive.

Mes soldats avaient la chance de permuter mais pour les officiers et sous-officiers, par manque d'effectif, cela était impossible. La fatigue et le découragement commençaient à me gagner.

Heureusement il y avait les lettres de Marilou. Je les attendais toujours avec impatience.

 

On se livrait complètement. Progressivement nous sommes passés du vouvoiement au tutoiement. Notre complicité devenait de plus en plus intime. Pour mon premier Noël en Algérie, Je lui  ai adressé une carte postale de circonstance. En retour, j'ai aussi reçu une carte postale, et là … Incroyable mais vrai !  Les deux cartes étaient strictement identiques !!! à plus de 1000 km l'un de l'autre, sans jamais nous être vus, nous avions choisi le même sujet. Pour elle et moi c'était un signe …

 

Nos échanges devenaient plus tendres, peut-être même amoureux, au point  

qu'un jour je l'ai appelée : " ma petite chatte chérie ". En retour j'ai eu droit à : " mon grand ours chéri ".

C'était merveilleux, notre amour grandissait au fil des lettres.

Nous étions jeunes et fous !

 

Un jour sur une impulsion, je lui ai écrit ceci : " Le mariage est une loterie, aussi quand nous nous rencontrerons, si l'on se plaît, accepterais-tu de devenir ma femme ? "

Par retour de courrier elle me fit savoir qu'elle acceptait avec bonheur. J'étais fou de joie. Nous devenions des fiancés virtuels. Notre correspondance plus libre que jamais alimentait nos fantasmes.

 

Hélas, un petit grain de sable peut parfois gripper la plus belle des machines.

Ma maman m'informa que ma famille avait quitté le Maroc pour s'installer à Toulon et me donna l'adresse qui devait être celle de ma démobilisation.

Le même jour, mon commandant, sur convocation dans son bureau me dit que selon ma hiérarchie, je n'étais plus en état d'assurer le commandement de mon groupe ( fatigué à l'extrême ). Il ajoutait : " L'officier chargé du centre de ravitaillement de notre région militaire est libéré de ses obligations. Je vous ai proposé pour le remplacer. Faites votre paquetage vous partez demain matin. Il vous reste 4 mois à faire … Bonne chance ".

Au même moment, Marilou, comme beaucoup d'autres pieds-noirs, quittait

le Maroc pour la France.

 

On devine la suite. N'ayant plus nos nouvelles adresses, notre correspondance et l'espoir de nous rencontrer un jour, s'arrêtait là… tristement.

J'étais anéanti, le coeur en charpie. Difficile de décrire ma détresse après deux ans de projets fous !

Mon nouveau travail était passionnant. Pour oublier ma souffrance, je m'y adonnais sans compter.

 

Je me confiais à ma maman qui voyait déjà Marilou comme sa belle-fille. Elle l'avait adoptée depuis nos fiançailles virtuelles.

Mes quatre derniers mois passés, j'ai à mon tour été libéré.

 

Arrivé au port de Marseille où mes parents m'attendaient, j'ai à peine reconnu ma maman. Elle avait vieilli de 10 ans ! Je l'ai prise dans mes bras à l'étouffer. Elle ne pouvait retenir ses larmes et me caressait le visage, comme pour s'assurer que c'était bien son enfant qui était là.

( Comme moi, elle apercevait, deux passerelles plus loin, les cercueils des soldats rendus à leur famille ).

Mon papa nous regardait maman et moi. Pour la première et dernière fois de ma vie, je l'ai vu pleurer. Il s'est joint à nous...L'émotion était palpable.

 

A un moment, j'ai levé les yeux et aperçu … Un ange … Je l'ai instantanément reconnu ! C'était Marilou !

Mes merveilleux parents s'étaient "débrouillés" pour la retrouver.

Elle résidait désormais, avec sa famille, dans les Bouches-du-Rhône. Ils étaient allé la voir et la renseigner, quant à la date et l'heure de mon arrivée à Marseille.

Dans un même élan, nous nous sommes jetés dans les bras l'un de l'autre et sur ce quai crasseux, au milieu d'une foule grouillante, nous avons échangé le baiser le plus fou de l'histoire de l'humanité.

Je ne rêvais pas, je la tenais dans mes bras … Elle était RÉELLE …

Plus besoin de nous demander si nous nous plaisions.

 

Six mois plus tard nous étions mariés.

Dix mois après, naissait notre première fille qui héritait des yeux bleus de sa maman.

Cinq ans après, naissait notre seconde fille qui héritait des yeux verts de son papa.

Trois petits-enfants sont venus merveilleusement élargir notre cercle de famille.

 

Le 3 juin 2016. nous avons fêté nos 55 ans de mariage.

Marilou a été, durant toutes ces années, la meilleure des femmes, des mamans, des mamies. Mon ange gardien, ma muse, mon égérie, ma raison même d'exister.

On dit que les couples, à force de vivre ensemble, finissent par faire du mimétisme. Alors, j'en suis sur, à lui ressembler, je suis devenu beau !

 

Pour avoir simplement, sans détour, évoqué le sujet, elle et moi sommes intimement convaincus que, lorsque le moment sera venu, et que l'un de nous deux partira, l'autre ne tardera pas à le suivre.

 

Après de si longues années, notre amour est toujours aussi fort et passionné.

La vie est belle ! Nous la croquons à pleines dents !

 

Cette histoire prouve que les contes de fées existent, que l'amour fait des miracles en transformant la virtualité en réalité.