guerre 39-45

Né en 1936...

notre ordissinaute Pierre le montois nous raconte son histoire...

Ecrit par l'Ordissinaute Pierre le montois

Né en 1936, dans la banlieue parisienne, le sort ne m’avait choisi le meilleur pour vivre la guerre 39-45. Et , pour tout dire, ça n’a pas été du gâteau. J'ai deux ans, les premières images qui me reviennent ; deux jeunes hommes taquinent un homme âgé. Plus tard, je demande à ma mère qui étaient-ils ? «Tes oncles et ton grand-père». Ses frères, Victor et Robert, fait aux pattes en passant la ligne de démarcation, en route vers l’Espagne. Seules, les cartes d’identité sont revenues, une de Dachau, l’autre de Buchenwald. J'ai quatre ans, souvenir suivant : mon père et mes oncles sont tous en kaki, tenues de troufion et tout le monde pleure. En juillet, ils seront tous de retour , par chance.

On a du prendre le train, nous voilà en Ariège , à la ferme , des gens sympa , bonne nourriture et de la place pour jouer. Retour chez nous ,par le train toujours. Plus on approche de Paris et plus il y a de soldats allemands casqués et armés le long des voies, un tout les dix mètres. Les premiers ,mais pas les derniers, Ils sont partout , chantent et font claquer leurs bottes cloutées dans les rues.

Bien sûr, mon père a perdu son travail, il rejoint l’encadrement des chantiers de jeunesse, une structure crée pour employer les jeunes au renouveau du pays ou quelque chose comme ça , je dois mélanger les mots de la propagande, on en a consommé pas mal ces années-la «Avec ces vielles ferrailles, forgeons l’acier victorieux» «Nous ferons sécher notre linge sur la ligne Siegfried» sans oublier «Maréchal, nous voilà!», chant obligatoire à l’école. Et les autres «Un Reich pour mille ans!». Nous , on a été sévèrement vacciné, devenus incrédules définitifs.

On fait un passage à La Ferté-sous-jouar, ça n’a pas du marcher, nous rejoignons Chartrette, un autre chantier. J’en profite pour attraper la gale, dans des draps de l’Economat. Pour gratter, ça gratte . Deux jours enduit de pommade verte, coincé dans un drap. J'ai cinq ans,de retour chez nous , au dispensaire- création du Front Populaire - on m’opère des végétations et des amygdales, endormi au chloroforme, j’entends encore claquer les ampoules dans le masque , je vois des coqs qui tournent dans la lampe au-dessus . Le Paradis Blanc ? La médecine ne me lâche plus, une hernie qu’opère un chirurgien allemand, sympa , il y en aurait des bons ? A la visite , il est en tenue, sale impression.

Nouveau mouvement, on s’installe chez notre grand-mère paternelle et pour de bon, enfin. Il y a un jardin potager et des arbres fruitiers, c’est peut-être ça qui nous a sauvé , car tout va mal , rien à manger et rien pour se chauffer. Mon père abat un chêne devant la maison , je l’aide en tirant le grand passe-partout, c’est facile, on travaille assis. Et l’horreur : les bombardements toutes les nuits, d’un côté, il y a le triage de Villeneuve St Georges et de l’autre celui de Vers. Les abris sont loin, nous restons chez nous . Les gens disent qu’on entend pas la bombe qui va être pour vous mais je n’arrive pas à y croire. Du coup, on dort peu. Mon père est à la Défense Passive, il y va à chaque alerte. Un midi , il rentre tard, l’air sombre et à table devant nos maigres rutabagas ou topinambours le voilà qui éclate en larmes. Il a passé la nuit à remplir des sacs de jute de restes humains, une bombe a soufflé un abri occupé. Le ciel est chargé d’avions, des chasseurs qui se pourchassent à coup de mitrailleuses. Un après-midi de 1944, un superbe B24 Liberator aux dérives jaunes à la livrée alu se fait allumer par la DCA au-dessus de la gare de triage , l’équipage saute en parachute.

À la demande de mon père , je dois prévenir un homme que je connais de vue qu’il va avoir des ennuis. Je finis ma partie de billes, j’y vais à cloche-pieds en faisant le grand tour et c’est un milicien qui apparaît sur le seuil. J’ai sept ans, j’ai raté ma mission, je m’en veux.

Depuis longtemps, plus personnes n’a de chaussures , des sabots ou des galoches , semelles en peuplier empeigne en carton. A l’école , il faut chanter le «Maréchal» en tapant du pied en cadence ,le coup de règle sur les doigts réactive la conviction. Ainsi naît la haine , en plus des coups, c’est la calote assurée en cas de galoche fendue . Et les parents ont la sale manie de donner raison au maître,si on se plaint d’une claque ,c’est une en plus à la maison. Je me tais.

En juin, enfin , ils ont débarqués. Les Fridolins sont méchants et nerveux de la gâchette, le vent a tourné mais il faut redoubler de prudence. Malgré cela, mon père nous entraîne vers les friche s d’où on voit la route. Mauvaise idée, des balles sifflent dans les branches des arbres. Des petites voitures vertes se profilent au loin , amis ou ennemis ? La trouille ! Ouf, les Américains.

La suite est très moche, des FFI inconnus ,armés d’occasion, les femmes fautives glaviotées d’importance moitié nues et marqués de croix gammées au goudron sur la place de la Mairie . Elles iront ensuite avec des Américains. L’insulte courante à l’école : résidus de cow-boy, roulure de capote , rien que de la tendresse. Et nous ne verrons pas le pire. Par contre , toujours les tickets et la queue chez les commerçants, là ça râle dur. Le premier vrai repas : un morceau de baleine, selon l’étiquette, que mon père a volé, je pense. La baleine, fameux, il est vrai qu’on aurait bouffé le curé avec sa soutane ! La guerre est finie, pour nous , pas de cellule de soutien psychologique, c'est marche où crève !

En 1945, j’ai neuf ans, maigre comme un cent de clous mais vivant.