C47 «Dakota»

A 107 dans un C47

Voici le récit d’un exploit authentique resté méconnu où un jeune commandant d’avion de l’Armée de l’Air en coopération auprès de l’Escadrille Tchadienne à N’Djamena a pris une initiative qui lui permit de sauver cent vies humaines. Lui et son équipage prirent des risques calculés dans un contexte d’insécurité et n’en reçurent aucune récompense.

Ecrit par l'Ordissinaute Pierre le montois

En ce mois de février 1978,la guerre n’est pas déclarée au Tchad, elle n’a pas de nom mais elle est bien là.
En 24 h , l’Escadrille Tchadienne , dont le personnel comporte une proportion importante de coopérants français de l’Armée de l’Air , a perdu deux avions abattus par les défenses des rebelles du Frolinat, qui sont soutenus par les forces de la Libye  et des pays du bloc de  l’Est. Bardaï, la ville la plus au nord , est tombée après plusieurs jours de combat, le fort de Zouar, indéfendable, a été  évacué et la ville de Faya-Largeau , principale cité au pied du Tibesti , forte d’une garnison de 1500 hommes de l’Armée Tchadienne , est encerclée . Les avions font des rotations pour évacuer ce qui peut l’être. Le dernier DC4 s’est posé , le dernier C47 arrive maintenant . Cet avion de taille moyenne, conçu dès 1933 par Douglas Corporation, ne comporte que 27 places assises sur des banquettes latérales relevables car l’avion a été conçu pour transporter une jeep et sa remorque.
Son pilote commandant d’avion est un jeune Sous-Lieutenant qui était moniteur à Avord, l’école de formation des pilotes de transport.

Je sors du bureau des Ops comme son Dak arrive au parking et je l’attends. L’avion garé sur le trait , bruit caractéristique de la culbuterie du moteur PRATT&WITNEY que l’on stoppe, giclée d’essence des cuves des carburateurs que l’on remplit , un pistard ouvre la porte et met l’échelle en place et c’est lui qui descend le premier.

Debout derrière lui, sur le plateau de la porte cargo, une dizaine de femmes africaines , simplement vêtues du pagne et d’un tee-shirt , le châle qui tient le bébé contre le dos de sa mère, le fichu qui portera tout à l’heure le koumam, cette bassine émaillée qui contient toute la fortune de la famille. Elles descendent à leur tour, puis s’ouvre la porte des toilettes et en voici quatre autres puis toutes celles qui étaient debout dans l’allée centrale accrochées au câble de parachutage , suivent les 27 assises sur les banquettes et enfin celles qui ont pris place dans le poste équipage. Elles sont très calmes, sereines, juste quelques mots dans une langue qui n’est pas la nôtre. Elles passent devant lui et le touchent l’une après l’autre , en Afrique, on ne s’embrasse pas, ce n’est pas la coutume. Elles savent ce qu’elles lui doivent.

Le Sous-Lieutenant est fier de son coup, il en a compté 52 mais il a oublié d’ajouter les bébés ! Soit 107 personnes dans son C47, avec l’équipage ! A cause du poids , il a  dû rouler longtemps au décollage et n’a pas pu voler bien haut , on décolle toujours un Dak lourd mais on ne peut le faire monter. Bluffé, j’admire l’exploit et ce qu’il faut de culot pour oser  un coup pareil !
    
Pierre le montois.